mardi 29 janvier 2008

En kiosque en ce moment

La GéoGraphie

Une revue qui existe depuis 186 ans sort son premier numéro. Oui, vous m'avez bien compris !
Fondée par la Société de Géographie, La GéoGraphie est l'une des plus anciennes revues de géographie. Elle s'offre pour 2008 un sacré coup de jeune. Au sommaire de ce premier numéro, les "îles, ces étranges objets du désir" avec des articles sur le Japon, la Corse, Tahiti, les Açores,.... Il s'agit bel et bien d'une revue de géographie et non de quelques photos exotiques sur papier glacé.
C'est en tout cas un bel objet, très agréable à feuilleter, et bien sûr à lire !
Feuilletez la revue à l'écran. Le numéro 2, qui sortira le jour du printemps, aura pour thème "Cartes et atlas".

XXI


Savez-vous ce qu'est un mook ? Rassurez-vous, je ne le savais pas non plus il y a un mois...
Ce n'est ni un magazine, ni un livre (book in english..), mais un peu des deux. Ce nouveau concept est celui de XXI, disponible plutôt en librairie. Des reportages, des analyses, des photos, des reportages BD (Stassen sur les clandestins de Gibraltar). On est surpris et intéressés à chaque page. Un dossier sur la Russie : Le dollar et le marteau. Voyez le sommaire complet.
Des anciens de Libé, un rédacteur-en-chef passé par Le Figaro, des écrivains, des dessinateurs.

"Le XXIème siècle va s'écrire comme un roman"

Voici la "bande-annonce" :



L'eau, attention fragile

La revue Pour la science publie un numéro-dossier sur l'eau. Les articles abordent deux aspects : l'eau dans la nature et l'eau dans nos sociétés. La première partie intéressera certainement nos collègues de SVT. La deuxième partie fournit plusieurs études de cas intéressantes (Afrique, Bangladesh, Trois Gorges) et des analyses globales sur l'eau et l'énergie, la santé. Voici le sommaire complet.


2000 ans de mondialisation

Les collections de l'histoire proposent une mise en perspective de la mondialisation sur la longue durée chère aux historiens. Voici le début de l'avant-propos :

"La mondialisation est devenue le mot-clé de notre époque, étourdie par l’accélération des flux financiers et commerciaux, le déferlement de produits fabriqués aux quatre coins du monde, la circulation des images et des informations.

Le phénomène n’est pas aussi récent que ses apparences ultramodernes le laissent croire. Au sein de l’Empire romain, un immense espace rassemblant à son apogée 70 millions d’hommes est unifié par le droit, le mode de vie, l’usage du latin et du grec… Au XVIème siècle, après la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, les quatre parties du monde peuvent entrer en contact. L’immense Empire ibérique, cet empire sur lequel le Soleil ne se couche jamais, est le creuset de brassages et d’inventions nés de la rencontre des Indiens, des Européens et bientôt des Africains."

Lire le sommaire complet et l'avant-propos.


La Finance

A l'heure où les traders font parler d'eux, il n'est pas inutile de mieux comprendre le monde de la finance. C'est ce que permet un hors-série de la revue Alternatives économiques. Avec la clarté et le souci pédagogique qu'on lui connaît, cette revue propose des articles historiques, théoriques sur la monnaie et la finance. Les 10 fiches permettent de faire le point sur les différent acteurs et mécanismes. Voyez le sommaire.

dimanche 27 janvier 2008

"Lust, caution" : L'amour est-il plus fort que le patriotisme ?

Le film

J'ai vu pour vous le dernier film du Taïwanais Ang Lee (Le secret de Brockeback Mountain, Tigres et dragons). Il nous fait plonger dans le Shanghaï des années 1940, sous occupation japonaise. Un gouvernement de "collaborateurs" chinois à la solde des Japonais est dirigé par Wang Jingwei. Une jeune étudiante (jouée par Tang Wei dont c'est le premier film), membre d'une troupe de théâtre "patriotique", est chargée avec ses camarades de tuer l'un des principaux responsables de ce gouvernement, M. Yee (incarné par l'acteur fétiche de Wong Kar Wai, Tony Leung).

Pourquoi ce titre ? Lust, caution, traduction anglaise du chinois « se, jie ». "La préfacière (et traductrice) d'Eileen Chang [l'auteur de la nouvelle qui a inspiré le film], Emmanuelle Péchenart, nous plonge dans une jungle polysémique typiquement chinoise : « Se désigne la couleur, le charme féminin et le désir sexuel , jie signifie l'abstinence, la retenue et la pru­dence, mais les deux termes signifient encore rôle de théâtre, bague et aussi encercler, donner l'alarme. » Deux mots contiennent littéralement tous les ingrédients du récit : toute la complexité du monde cachée sous le trait fin de l'idéogramme..." [source : Télérama]

La bande-annonce (in english) :



La polémique

Le film d'Ang Lee a suscité des réactions enflammées en Chine populaire comme à Taïwan. La première partie du film montre des Chinois unis contre l'envahisseur japonais, à l'image de cette représentation théâtrale au cours de laquelle la réplique "La Chine ne doit pas mourrir" provoque pleurs et enthousiasme dans le public. Il heurte donc l'interprétation communiste officielle en faisant de jeunes proches des nationalistes du Kouomitang (longtemps au pouvoir à Taïwan) des "patriotes". Mais en montrant que ce même Kouomitang était divisé sur les relations avec les "traîtres à la nation chinoise", il remet en cause l'analyse officielle sur l'île. La deuxième partie, plus centrée sur la relation entre l'espionne et le collaborateur va finalement mettre tout le monde d'accord contre Ang Lee... Celui-ci ne suggère-t-il pas que l'amour peut être plus fort que la défense de sa patrie ?
Dans le numéro 898 (17 janvier 2008) de Courrier international (disponible au CDI), vous trouverez une analyse détaillée des polémiques créées en Asie par ce film.
[photo : Wang JingWei, le "Pétain" chinois, mort en 1944]

Voici quelques dates sur cette période :

1921 Fondation à Shanghai du Parti communiste chinois par quelques intellectuels.

Formation à Canton d'un gouvernement nationaliste présidé par Sun Yat-sen.

1927 Tchang Kai-shek écrase les communistes et forme son propre gouvernement à Nankin.

1929-34 Fondation d'une république soviétique dans le Jiangxi, sur laquelle Tchang Kai-shek envoie l’armée.

Début de la Longue Marche, fuite des communistes.

1931 Les Japonais envahissent la Mandchourie. Ils créent l’état indépendant du Mandchoukouo.

1933-35 Les Japonais avancent en Chine du nord.

1935 Mao Zedong est rétabli comme chef du Parti communiste.

1936 Incident de Xi'an.

Les communistes capturent Tchang Kai-shek et l'obligent à participer au front uni contre le Japon.

1937 Le Japon envahit la Chine du Nord. A Nankin l’armée Japonaise se livre à un important massacre de civils.

1938 Le gouvernement nationaliste se replie à Chongqing.

1940 Wang Jingwei crée à Nankin un gouvernement à la solde des Japonais.

1941 Les Japonais s'emparent de Hong-Kong.

1944 Mort de Wang Jingwei.

1945 Août : capitulation japonaise.

Les communistes occupent le nord de la Chine.

Les nationalistes occupent la plus grande partie du territoire.

1946-49 Guerre entre communistes et nationalistes.

1949 1er octobre : proclamation de la République populaire de Chine.

Tchang Kai-shek replie les institutions de la République de Chine à Taiwan.


Les liens

Retrouvez la critique complète de Télérama dont j'ai cité un extrait, le site du film d'où est tirée la chronologie ci-dessus, le dossier sur l'histoire de l'Asie orientale avec notamment la chronologie interactive sur l'Asie de 1839 à 2008, un entretien avec Jean-Louis Margolin sur les crimes du Japon en guerre, le révisionnisme dans les mangas japonais,...

Post scriptum : (5 mai 2008) Pékin a fait interdire les publicités dans lesquelles apparaissait l'actrice Tang Wei, fait annuler ses participations à des festivals et effacer toute référence à l'actrice sur Google.... (informations parues dans ELLE le 24 mars 2008).


jeudi 24 janvier 2008

Et si on se faisait une toile : No Country for Old Men


No Country For Old Man de Joel et Ethan Coen avec Tommy Lee Jones, Javier Bardem, Josh Brolin et Woody Harrelson (Etats-Unis - 2h02 - sortie salle : 23 janvier 2008)




"-Si je ne reviens pas, dis à ma mère que je l'aime.
-Llewelyn, ta mère est morte !
-Bon, alors je lui dirai moi-même..."

Dans un coin de désert, au milieu de nulle part entre le Texas et le Mexique, Llewellyn Moss, un type taciturne et un peu paumé, tombe par hasard sur les lieux d’un échange de drogue qui a mal tourné. Des pick-up criblés de balles, des corps étendus dans la poussière et une valise garnie de deux millions de dollars. Moss embarque le magot, pensant que personne ne s’intéressera à lui. Mais c’est sans compter sur les complices des dealers qui attendent leur livraison, sur un tueur impitoyable qui joue la vie de ses victimes à pile ou face et sur un vieux shériff désabusé qui ne comprend plus cette époque où les criminels ont abandonné tout code de conduite…

Sur une trame de polar ultra classique, les frères Coen nous embarquent pour un road movie sanglant, drôle, étrange et déstabilisant comme il en ont le secret depuis Miller’s Crossing et surtout Fargo. Adaptant un best seller de Cormac McCarthy (que je vais m’empresser de lire), les frères décrivent les trajectoires de trois personnages qui finalement ne se croisent que furtivement et pour le pire. Le looser fataliste et têtu (Josh Brolin) qui malgré lui sait parfaitement qu’il ne fait que s’enferrer dans les ennuis en prenant cet argent. Le tueur sur ses traces (Javier Bardem), impassible machine à liquider, pour qui rien ne semble vraiment avoir d’importance. Et un vieux sherif (Tommy Lee Jones) dépassé par la violence des évènements et qui perd pied face aux bouleversements d’un monde qu’il ne comprend plus.

C’est un polar… sans être un polar… tout en étant un polar. En effet l’histoire joue à fond des codes du genre : les balles (où les décharges d’air comprimé…) fusent et les cadavres s’accumulent. Mais les frères Coen prennent aussi un malin plaisir à faire partir leur histoire là où on ne l’attend pas, laissant leur personnages errer au gré de leurs rencontres dans un Texas rural et déglingué, déjouant perpétuellement nos attentes car rien ne se passe jamais comme on pourrait ou on voudrait le prévoir. Et pourtant, jamais ils ne perdent de vue la noirceur de leur histoire. Le film vous prend au collet et jamais ses digressions n’éparpillent ou ne desservent un scénario qui garde constamment son caractère implacable et son atmosphère écrasante.

Plastiquement le film est une splendeur. Les paysages désertiques, la frontière américano-mexicaine, les petites villes paumées ou les motels miteux sont filmés avec un soin qui fait songer à Terrence Mallick. Même les grands espaces dans leur immensité rocailleuse semblent se refermer sur les personnages pour mieux les prendre au piège. On ne peut jamais échapper aux conséquences de ses actes.

Petit avertissement, le film est relativement violent, toutefois il porté par une interprétation remarquable. Josh Brolin en cow-boy moderne est la révélation du film, quand à Javier Bardem il incarne un tueur qui restera probablement mythique dans la galerie des "Bad Guys" de l’histoire du cinéma. Les derniers films des frères Coen, "Intolérable Cruauté" ou "The Ladykillers" étaient des comédies sympathiques mais un peu légères, là, ils marquent leur retour en fanfare parmi les cinéastes américains de premier plan et sont déjà annoncé comme favoris pour les oscars. Le premier vrai choc de 2008.

mercredi 23 janvier 2008

Histoire des Afro-américains en musique (5): les racines noires du rock'n'roll.


Elvis entouré de Little junior Parker (g) et de Bobby Bland.

Le rock’n’roll, qui aurait fait son apparition officielle avec les premiers enregistrements Sun d’Elvis Presley, doit beaucoup aux musiques noires. Là encore, la bouillante Memphis constitue une plaque tournante essentielle dans le processus d’élaboration de ce courant musical.

Etape obligée de l’exode noir rural vers les grandes villes du nord, Memphis voit sa population grossir à vue d’œil dans la première moitié du XXème siècle. La ville est prospère et de nombreux établissements de nuit et de jeu apparaissent sur l’artère incontournable de Beale Street. La folie du blues gagne rapidement la ville. Elle devient un lieu privilégié pour les compagnies Columbia, Bluebird, Victor qui enregistrent les bluesmen du Delta venus en nombre tenter leur chance à Memphis.


La Grande Dépression met un terme provisoire à cette effervescence musicale, mais dès le lendemain de la seconde guerre mondiale, la ville redevient une plaque tournante incontournable pour les musiciens. L’amplification sonne le glas du blues acoustique. L’électrification des instruments permet une distorsion des sons et de futurs géants du blues électrique font alors leurs premières armes dans la capitale du Tennessee : Howlin’ Wolf, B. B. King notamment. Un boogie-blues embryonnaire se dessine également. On parlera plus tard de rock’n’roll. Le terme rock désignait, chez les chanteurs Noirs américains des années 40-50, l’acte sexuel. D'ailleurs de nombreux titres utilisent le terme avant la naissance officielle du genre: "Rockin's boogie" de Joe Luther, "Rock the joint" de Jimmy Preston en 1949.



La ségrégation règne à Memphis, le maire Crump, ouvertement raciste, administre d’une main de fer la cité pendant près de 40 ans et impose un apartheid implacable à tous les niveaux. Néanmoins, les influences culturelles noires se propagent auprès de certains jeunes blancs curieux:
- les radios noires comme WDIA, KVEM diffusent cette nouvelle musique noire si excitante. Des animateurs s’imposent : Rufus Thomas anime « House of happiness » ; Beale Street Blue Boy, alias B.B. King, fait de même sur WDIA.

Presley et B.B.King.

Le jeune Presley se délecte à l’écoute de ces émissions. Comme des milliers d’autres adolescents blancs, sa fascination pour la musique noire naît alors, notamment le rythm’n’blues en gestation (Louis Jordan, Wynonie Harris, Roy Brown).

- De nombreux Blancs émigrent à Memphis, dans l’espoir d’une vie meilleure. Certes, la ségrégation sévit, mais Noirs et Blancs pauvres se côtoient malgré tout. Il est mal vu pour un Blanc de se rendre dans des établissements noirs, mais l’attrait de ces lieux est souvent trop fort. Ainsi, Sam Philipps, le fondateur de Sun Records, Elvis Presley fréquentent avec assiduité les clubs de Beale Street.
- Ce dernier se passionne aussi pour le gospel. Il se rend le dimanche dans les églises du nord-est de Memphis, particulèrement la Trigg Baptist Church.

Sam Phillips confirme:"Il y avait deux catégories de parias, les ouvriers agricoles noirs et les petits métayers blancs. A l'époque, il était tout simplement impossible d'échapper à l'emprise de toutes ces musiques nées de l'oppression qui mettaient un peu de baume au coeur des gens."

Dewey Phillips anime une émission quotidienne « Red, Hot and blue » et y diffuse pop, country, jazz et blues. A ses yeux, il n’existe aucune frontière raciale dans le monde de la musique. Or, aussi surprenant et choquant que cela soit, cette attitude reste alors exceptionnelle. Emballé par le "that's allright mama" de Presley, il passe le titre dans son émission. Aussitôt le standard téléphonique croûle sous les appels enthousiastes.


Sam Phillips et Elvis Presley.

Sam Phillips (sans parenté avec le précédent) ouvre le Memphis Recording Service en 1950. Il s’agit d’un des seuls endroits du Sud où les artistes noirs peuvent enregistrer leurs morceaux. Amoureux du blues et du rythm’n’blues, Phillips enregistre les fleurons de la scène locale (Joe Hill Louis, Rufus Thomas, Doctor Ross, James Cotton, Little Junior Parker, Howlin’ Wolf, Little Milton) pour le compte du label qu’il vient de fonder, baptisé Sun Records Company (1952).

Dans un entretien avec Sébastien Danchin (in Muscle Shoals_ capitale secrète du rock et de la soul")en 1984, Sam Phillips revient sur sa stratégie commerciale:"A force de produire des enregistrements de rythm'n'blues, j'avais pu constater que cette musique touchait les jeunes noirs, mais aussi les Blancs. Quand j'ai dit un jour que mon rêve serait d'enregistrer un Blanc capable de chanter comme un Noir, il ne s'agissait pas de fabriquer un plagiaire, mais de dénicher un vrai chanteur de blues de race blanche, susceptible de faire découvrir la vérité du blues à tous les adolescents d'Amérique, sans la travestir, et avec la caution des Noirs. Il n'y avait qu'un Blanc pour y parvenir parce qu'à l'époque, seul un Blanc avait la capacité d'être programmé sur les radios de l'Amérique moyenne et de passer à la télévision à une heure de grande écoute. Le succès d'Elvis Presley, c'est ça."


Il ne faut pas oublier cependant l’importance des « musiques blanches », country, hillbilly (« musique des ploucs »), très populaires. De fait, le rock’n’roll est le fruit d’une fusion entre rythm’n’blues, country music, auxquels il faudrait ajouter un soupçon de folk, de gospel et de doo wop (ci-dessus: un titre des coasters). Bref, rien de "chimiquement pur" la dedans, seul le mélange d’influences rend possible son apparition.



Dans ces conditions, le débat sans fin qui déchire les « spécialistes » sur la question du premier disque de rock’n’roll apparaît ainsi quelque peu ridicule. Dès 1951, le « Rocket 88 » composé par Ike Turner et interprété par Jackie Brenston possède déjà tous les attributs caractéristiques de la musique rock ; pourtant le « that’s allright mama » de Presley, enregistré aux studios Sun reste considéré comme le premier disque de rock.




That's allright mama, l'original d'Arthur Big Boy Crudup en 1946 et la reprise du King en 1954, considérée par beaucoup comme le premier titre rock.


Il est en revanche beaucoup plus intéressant de souligner que cette chanson est une reprise, réussie, d’un titre d’Arthur Big Boy Crudup, un des artistes de blues favoris d’Elvis. De fait, ce dernier emprunte largement des titres au répertoire de cette musique éminemment noire. Il y insuffle sa pâte personnelle si caractéristique et irrésistible. Les faces enregistrées par Elvis à Memphis représentent sans doute le meilleur de sa carrière, tant les enregistrements essentiels pour Sam Phillips que son album enregistré en 1969 chez les as du studio American (usine à tube où là encore, les barrières raciales sont mises à mal: ci-dessous le "suspicious mind" tiré de l'album qu'Elvis y enregistre en 1969).



Le malheureux Crudup décède, misérable, quelques années plus tard, sans avoir touché de droits d’auteur pour sa composition si populaire. Ce phénomène se produira à de nombreuses reprises. Willie Dixon, compositeur prolixe de blues, vend ses titres pour 1 dollar ou moins afin de parer au plus pressé. Nombre d’autres musiciens noirs verront ainsi leurs œuvres pillées, sans la moindre compensation pécuniaire. Exception notable, les Rolling Stones, passionnés de blues, paient leur dû aux artistes auxquels ils empruntent des titres. Ils paient même les obsèques de l’immense bluesman Mississippi Fred McDowell.


Il jouait du piano debout...

Parmi les pionniers du rock’n’roll, certains artistes afro-américains occupent une place de choix à l’instar de Chuck Berry ou l’extravagant et efficace Little Richard (ci-dessous: le Tutti frutti de L. R. et You never can tell de Chuck Berry, titre phare de la B.O. du Pulp Fiction de Tarantino).



Le succès du "Thats's allright mama" d'Elvis Presley en décembre 1954 qui consacre le mélange des influences musicales au-delà des barrières raciales, est contemporain de l’arrêt « Brown contre le Bureau d’éducation » condamnant la ségrégation dans les écoles. Et si l’application de cet arrêt est longue et chaotique, il n’empêche que les temps changent, lentement, mais ils changent…


Sources principales:
- Peter Guralnick:"Sweet soul music_ rythm and blues et rêve sudiste de liberté", éditions Allia,2003.
- Sebastien Danchin:"Encyclopédie du Rythm and blues et de la soul", Fayard, 2002.
- "Freedom. Une histoire photographique de la lutte des noirs américains", Phaidon, 2005.
- Gérard Herzaft:"La grande encyclopédie du blues", Fayard, 1997.


Conseils discographiques:
- un coffret rassemble les enregistrements essentiels des studios Sun.
- Les premiers pas d'Ike Turner aux côtés de Jackie Benston.
- Howlin Wolf rugit sur ces faces gravées aux studios Sun.
- les enregistrements sun d'Elvis. Il y tutoie les sommets. Jamais il ne montera plus haut.
- Retour à Memphis pour le King avec cet album très réussi: "From Elvis to Memphis".

vendredi 18 janvier 2008

Alexandre Tharaud et Couperin

Dans la série, écouter....je vous conseille Alexandre Tharaud et Couperin

La musique baroque déjà merveilleuse vient de recevoir un méchant coup de jeune (mais n'est-elle pas tout simplement intemporelle ?) du trop peu célèbre Alexandre Tharaud.
Qui est ce jeune pianiste ?
Présentons le Petit prince du clavier, Alexandre Tharaud....
Pianiste doué qui commence le piano dès l'âge de 5 ans, il est le fils d'un chanteur baryton et d'une danseuse. Il fait le Conservatoire de Paris et rapidement se consacre à (re)visiter les grands compositeurs de la musique de chambre. Il débute sa carrière discographique par une série de coups de maître : Les nouvelles suites de Rameau (2001), Les suites italiennes de Bach (2005) et Tic Toc Choc de Couperin (2007).
Le baroque est son terrain de prédilection, car il a réussi, sans le dénaturer, à transposer de nombreuses oeuvres pour clavecin pour le piano...à la Glenn Gould, ça c'est du compliment. En effet, depuis Marcelle Meyer, aucun pianiste ne s'était attaqué aux oeuvres baroques pour clavecin.
Il n'hésite pas non plus à s'attaquer à l'oeuvre intégrale pour piano de Ravel (2003), ni aux valses de Chopin (2006).
Actuellement, il fait une tournée en France... Ne le ratez pas...Il passe à Metz le 9 mars 2008 (mais aussi le 9 février à Lyon, le 9 avril à Grenoble et le 24 mai à Paris) .
Vous trouverez une longue interview de lui à cette adresse.
Sa discographie complète sur le site d'Harmonia Mundi
Puisque ce blog a pour thème l'écoute....je vous propose d'abord de vous prendre une claque musicale, avec ce morceau très enlevé qui date de 1722 !!! Tic Toc Choc est son titre et la vidéo est élégante entre le pianiste et le rappeur....Mélange des genres


Les autres morceaux de l'album ne sont pas tous aussi enlevés mais sont également de petites perles à découvrir.



François Couperin est donc le dernier compositeur sur lequel s'est penché notre pianiste. Il est né à Paris en 1668 dans une famille de grands musiciens. En 1685, il reprend le poste d'organiste de l'Eglise de St-Gervais, poste qu'avait successivement occupé son père et son oncle.
En 1693, il devient organiste de la Chapelle de Louis XIV sans avoir le rang qu'avait eu Lully, il est un musicien reconnu et protégé de la Cour. Les honneurs le récompensent de ses loyaux services, il est anobli et reçoit le titre de chevalier de l'Ordre de Latran.
Il laisse derrière lui une oeuvre riche composée de 27 ordres, 2 messes seulement, des oeuvres vocales dont Leçons des ténèbres et quelques textes théoriques.








Couperin vous ouvre la porte du baroque, qu'il ne faut pas refermer.....sans avoir écouté également Marin Marais à la viole de Gambe (BO du film Tous les matins du monde), Alexandro Scarlatti ou encore Rameau.....
Bref tout un monde...




J-Christophe Diedrich


Et si on se faisait une toile : La guerre selon Charlie Wilson


Charlie Wilson's War de Mike Nichols avec Tom Hanks, Julia Roberts, Philip Seymour Hoffman (Etats-Unis, 2008, 1h46)






En salle en ce moment

« On change le monde et puis on fout le camp et on fout en l'air la fin de partie. »

Charlie Wilson (Tom Hanks) est à la fin des années 70 un député texan roublard et bon vivant. « Good Time Charlie » est un fêtard, amateur de whisky et de stripteaseuses qui sait aussi parfaitement jouer de son bagout et de ses amitiés politiques pour obtenir ce qu’il veut à la chambre des Représentants. Lorsque l’Union Soviétique envahit l’Afghanistan en 1979, il s’insurge contre la passivité du gouvernement américain et prend fait et cause pour les moudjahiddins (combattants) afghans. Aidé par sa maîtresse, une richissime femme du monde (Julia Roberts) anticommuniste et chrétienne évangélique ainsi que par un agent de CIA efficace mais indiscipliné et fort en gueule (Philip Seymour Hoffman), il met en place un gigantesque réseau d’acheminement d’armes passant par le Pakistan, l’Egypte et même Israël. En effet si on ne veut pas que la guerre froide devienne soudainement beaucoup plus chaude, il ne faut surtout pas que les Etats-Unis apparaissent ouvertement aider les afghans. Le simple député va devenir l’artisan de la première défaite militaire de l’Union Soviétique, une défaite qui va précipiter la chute du bloc communiste…

Ce film qui vient de sortir cette semaine s’inspire d’une histoire vraie et raconte comment les Etats-Unis ont utilisé la guerre d’Afghanistan pour accélérer l’effondrement de la puissante Union Soviétique mais aussi comment, en armant des fanatiques religieux et en laissant tomber ces derniers une fois le boulot fait, ils ont précipité la création de leur nouvel ennemi islamiste. C’est une comédie légère, le personnage flamboyant interprété par Tom Hanks usant de nombreuses ficelles pour secouer l’administration américaine ou pour arriver à faire s’entendre des ennemis mortels comme Israël et l’Egypte. C’est aussi un panorama intéressant de la guerre froide dans les années 80 qui illustre la complexité de cet affrontement indirect.

Soyons honnête, c’est un film agréable, mais pas un chef d’œuvre. Il joue notamment sur une forme assez classique, un peu bavarde, mais très agréable à l’œil, profitant de très bons comédiens qui portent le film. Historiquement, bien qu’intéressant, il est aussi parfois un peu simpliste, le personnage de Charlie Wilson ayant été beaucoup plus complexe dans la réalité. Il a ainsi soutenu de sanglantes dictatures pro-américaine en Amérique centrale au nom de l’anti-communisme.

Une critique très négative, mais aussi très partisane du Monde Diplomatique. Une autre plus nuancée du Monde.

Sur la guerre soviétique en Afghanistan, voyez également sur l'histgeobox cet article sur la célèbre chanson du groupe rock soviétique DDT "Ne tire pas !". L'occasion pour nous de vous raconter ces dix années de guerre.


jeudi 17 janvier 2008

Histoire des Afro-américains (4): blues et folk.



Les conditions d’existence restent très difficiles dans les campagnes du sud profond. L’esclavage a disparu, mais les rapports inégalitaires entres les métayers noirs et les propriétaires terriens blancs continuent de rendre les rapports interraciaux difficiles. Les Afro-américains prennent rapidement l’habitude d’utiliser un terme générique pour désigner le Blanc, particulièrement le patron, le propriétaire, celui qui opprime ses « noirs »: il devient Mr Charlie. Lightnin’Hopkins multiplie les blues consacrés au cruel Mr Charlie.



Big Bill Broonzy.


La misère, le racisme institutionnalisé incitent de nombreux Noirs à fuir le sud profond. Big Bill Broonzy quitte l’Arkansas en 1920 pour Chicago. Il explique : « la vraie raison de mon départ, c’est que je ne supportais plus la ségrégation. Quand j’étais à l’armée, j’étais un homme comme les autres ». Or, de retour en Arkansas en 1919, après la grande guerre, un blanc du village lui ordonne de quitter ses vêtements militaires : « aucun nègre ne porte l’uniforme de l’oncle Sam » lui lance-t-il.



Les migrations massives d'Afro-américains qui fuient la misère des Etats du Sud pour gagner les grandes métropoles du Nord.


Or, cette attitude hostile à l’encontre des Noirs de retour d’Europe fut très fréquente, pas seulement dans le Sud. Une vague de violences racistes et d’émeutes anti-Noirs sévit tout au long de l’été 1919, l « été rouge » (38 morts à Chicago par exemple). Dans la petite ville de Tulsa (Oklahoma), le 31 mai 1921, une foule de 10 000 Blancs, parmi lesquels on compte des centaines de policiers, s’en prend aux habitants noirs de la ville. Le quartier de Glenwood, connu sous le nom de « Wall street noir », en raison de sa belle réussite économique et culturelle, est détruit. 6000 noirs sont arrêtés, 9000 se trouvent à la rue après la destruction de 1200 maisons, près de 300 Noirs auraient été tués (enterrés dans des fosses communes ou jetés dans l’Arkansas).



Le South side Chicago, dans les années 1930.


Comme Broonzy, ils sont des milliers à prendre la route en direction des grandes métropoles industrialisées du nord, dans l’espoir d’une vie meilleure. Ainsi, le légendaire Robert Johnson (il aurait vendu son âme au diable en échange de ses dons de guitaristes) compose son Sweet home Chicago. La désillusion est grande la plupart du temps. La ségrégation socio spatiale sévit de fait dans le nord aussi. Des quartiers exclusivement noirs se constituent. Ils deviennent des ghettos délaissés par les populations qui ont les moyens de s’installer ailleurs.


Dans le South side de Chicago, une nouvelle scène blues se constitue. Le Chicago blues, urbain et électrifié, se joue dans les clubs enfumés et mal fréquentés du South side. Quelques grandes figures deviennent très populaires à la fin des années 1940 et au début des années 1950 :


- Muddy Waters (« eaux boueuses») est le chef de file. Les Rolling stones doivent leur nom à un blues de Muddy Water. - Howlin’ Wolf (« loup hurlant ») au blues saturé et énergique ; l’harmoniciste Little Walter, le compositeur Willie Dixon… Tous évoquent dans leurs titres la vie sordide des quartiers difficiles. Ci-dessous, un titre de Big Mama Thornton, "Hound dog".

* Le mouvement folk s'engage pour les droits civiques.



Martin Luther King (MLK), Pete Seeger, Charis Horton, Rosa Parks, Ralph Abernathy en 1957, dans le Tennessee.


A la mort de Woody Guthrie, Pete Seeger reprend le flambeau et poursuit l’œuvre engagée de son aîné. Il s’implique très tôt dans la lutte pour les droits civiques. Ce chanteur de folk-songs, auteur de chansons et militant politique, devient vite une légende. Il reprend un vieux spiritual « We shall overcome » (nous vaincrons). Sa version devient l’hymne des droits civiques entonné lors de la marche de Washington en 1963. D’autres artistes folk participent aussi à cette grande marche pacifique, couronnée par le discours du doctor King : Peter, Paul and Mary interprètent le Blowin’ in the wind de Dylan; Joan Baez ; Bob Dylan.



Quelques uns des principaux artistes de la scène folk engagée: Peter Paul and Mary, Joan Baez, Bob Dylan, les Freedom singers, Pete Seeger et Theodore Bikel, lors du festival de Newport, en 1963.


Tous soutiennent la stratégie de lutte pacifique menée par les mouvements des droits civiques (SCLC: Southern Christian Leadership Conference du dr King, SNCC: Le Student Nonviolent Coordinating Committee, CORE: Congress for Racial Equality). Ces organisations font du Mississippi, le centre d’une activité politique intense, 7% seulement des Noirs y sont inscrits sur les listes électorales en 1962. Ces organisations multiplient les actions pacifiques dans les Etats du Sud: sit-in, boycott, marches pacifiques, inscriptions d'électeurs noirs sur les registres électoraux comme le prévoit la loi.





En mai 1963, Dylan et Seeger se rendent à Greenwood afin d’inscrire les populations noires sur les registres électoraux. Dylan y chante Only a pawn in their game, le récit de l’assassinat d’un militant des droits civiques, Medgar Evers. Il évoque aussi son assassin:


And he's taught how to walk in a pack / Shoot in the back / With his fist in a clinch

To hang and to lynch / To hide 'neath the hood / To kill with no pain

Like a dog on a chain / He ain't got no name / But it ain't him to blame

He's only a pawn in their game.


Et on lui apprend comment marcher en bande /A tirer dans le dos / Avec les poings serrés

A pendre et à lyncher / A se cacher derrière la cagoule / A tuer sans remords
Comme un chien enchaîné /
Il n'a pas de nom / Mais on ne peut pas lui reprocher

Il n'est rien qu'un pion dans leur jeu.


Dylan à Grennwood (Mississippi) en 1963.


Pendant l’été de la liberté, en 1964, ces organisations recrutent des étudiants (beaucoup de jeunes blancs notamment) volontaires afin de mener une campagne massive d’inscriptions d’électeurs dans l’Etat. Seeger est encore une fois de la partie et entonne à de nombreuses reprises We shall overcome accompagné de son seul banjo.



free music



We shall overcome, we shall overcome / we shall overcome someday / Oh! Deep in my heart, I do believe / we shall overcome someday.


Nous vaincrons (2X) / un jour nous vaincrons / Oh! Au fond de moi je le crois / un jour nous vaincrons.



Les autorités américaines ont une méthode infaillible pour déconsidérer un adversaire: il l'accuse de communisme. Lors de cette réunion dans une école du Mississippi (1967), la présence d'un membre avéré du particommuniste permet d'avancer que toute l'audience est communiste. On distingue MLK au premier plan. Seeger se trouve à l'extrême gauche de la photo).


Cet engagement de tous les instants vaut à Seeger, mais aussi à tous les artistes qui soutiennent un peu trop activement les mouvements pour les droits civiques (Jane Fonda, Marlon Brando, Jean Seberg…), des ennuis avec les autorités. En 1955, il est convoqué devant le Comité des activités anti-américaines. Condamné par le Congrès à de prison pour outrage à magistrat, il est libéré quelques mois après, mais son envie de poursuivre son œuvre courageuse, intacte.



* Deux courants musicaux dont l'audience faiblit.


A partir de la fin des années 1950, le public noir se détourne du blues. Les jeunes reprochent aux bluesmen leur manque de combativité, leur soumission. Les thèmes abordés par le blues expliquent en partie cette évolution. Pour l’auditoire, le rappel des souffrances n’apporte rien. Ils se tournent donc vers d’autres genres musicaux plus revendicatifs comme la soul music.



Seeger lors du freedom summer (août 1964), dans le Mississippi.


Le mouvement folk s'effrite également. Certes, Joan Baez continue de dénoncer les injustices partout dans le monde, mais la plupart des autres artistes folks ne jouissent que d'une audience limitée et ils sont vite supplantés par le rock'n'roll naissant. A partir du milieu des années soixante, Dylan lui-même, lassé d'être cantonné dans son rôle de chanteur militant, se tourne vers le rock. Au festival folk de Newport, en 1965, il provoque l'ire de l'auditoire en branchant sa guitare.








Liens:


- Un article intéressant de L'Express sur le Folk.


- Le très bel article réalisé par deux élèves (Cécile Rolland et Loïc Rebaodo) de M. Tribouilloy sur son très bon blog. L'analyse des stratégies uiltisées par le FBI pour déconsidéré le dr Kink sont particulièrement intéressantes.





Sources principales:
- Peter Guralnick:"Sweet soul music_ rythm and blues et rêve sudiste de liberté", éditions Allia,2003.
- Sebastien Danchin:"Encyclopédie du Rythm and blues et de la soul", Fayard, 2002.
- "Freedom. Une histoire photographique de la lutte des noirs américains", Phaidon, 2005.
- Gérard Herzaft:"La grande encyclopédie du blues", Fayard, 1997.

Histoire des Afro-américains en musique (3) : blues et folk-blues



La ségrégation sévit jusque dans l'industrie musicale, puisqu'une distinction s'opère avec les premiers enregistrements de blues. Les disques de musique noire sont classés sous la dénomination de race records, destinés aux gens de couleur. Les enregistrements de blues sont nombreux dans les années 1920, jusqu'au krach boursier de 1929. A partir de cette date, l'industrie du disque s'effondre. Le Nobody knows you when you're down and out de Bessie Smith reflète le marasme qui affecte la société américaine durant les années 1930.

L'économie rurale souffre particulièrement de la crise économique. Les produits agricoles ne se vendent plus. Des milliers de petits paysans fuient les campagnes, en espérant trouver un meilleur sort en ville. L'érosion des sols aggrave encore la situation. Woodye Guthrie revient sur ce phénomène dans son Dust bowl blues.



Le musicologue Alan Lomax.

Si les enregistrements de disques de blues cessent presque complètement dans les années qui suivent le krach de Wall street, la curiosité pour les musiques noires ne faiblit pas. Pendant les années 1930, deux ethnomusicologues, John et Alan Lomax parcourent le vieux Sud pour enregistrer cette musique noire fascinante pour le compte de la bibliothèque du Congrès. Un magnétophone sous le bras, ils écument les églises, chantiers itinérants, champs, prisons, afin de sauver ce patrimoine musical menacé.

En 1930, ils découvrent Huddie Ledbetter, alias Leadbelly, un songster, véritable mémoire musicale du delta du Mississippi. Condamné à 30 ans de travaux forcés pour un assassinat (1917), Leadbelly est enfermé dans le pénitencier de Sugarland. Il bénéficie d'une mesure de grâce en 1925, après avoir joué un blues en l'honneur du gouverneur du Texas en visite dans le pénitencier. En 1930, il est de nouveau condamné à 10 ans de travaux forcés pour tentative de meurtre. Cette fois-ci, il doit sa libération du pénitencier d'Angola en Louisane, à la visite de John Lomax.


Travail des prisonniers dans la ferme pénitencier de Parchman (Mississippi).

Leadbelly consacre de nombreux blues aux bagnes. Son Alabama bound décrit les conditions d'existence épouvantables dans ces pénitenciers. Midnight special évoque le train de minuit qui longe le pénitencier d'Angola. Les détenus rêvent de pourvoir monter dans ce train, symbole de libération. Lightnin' Hopkins décrit l'atmosphère de violence qui règne dans les pénitenciers: "you ought to been on the Bravos in 1904/ you could find a dead man on every turnin' row" ("t'aurais dû voir le pénitencier en 1904/ y avait des cadavres à chaque sillon du champ".



Un chain gang à la tâche.

Les noirs sont les grandes victimes de la rigueur d'une justice qui s'applique de manière discriminante. Ainsi, la loi dans le sud permet de condamner tout Afro-américain convaincu de vagabondage. Pour l'autorité judiciaire, il convient de rentabiliser le travail des prisonniers. C'est ainsi qu'apparaissent les chain-gangs. Les prisonniers, des hommes, des femmes et quelques enfants, noirs dans leur grande majorité, vêtus de costumes rayés, enchaînés les uns aux autres, réalisent des travaux d'intérêt général. Ils cassent des cailloux, posent des chemins de fer, construisent des digues. Ils sont transportés d'un chantier à l'autre dans des cages. En 1936, le No more ball and chain de Josh White dénonce les traitements humilants dont sont victimes les prisonniers noirs dans les pénitenciers sudistes.



Les Etats du sud mettent aussi en place des fermes pénitenciaires: Angola en Louisiane, Sugar Land au Texas, Parchman dans le Mississippi. Les prisonniers cultivent pendant 12 ou 14 heures des champs de cotons. En contrepartie, ils ne reçoivent rien.


Leadbelly "Rock island line".

Libéré sur parole en 1934, Leadbelly devient le chauffeur des Lomax. Il s'établit à New York. Il contribue à l'essor du mouvement folk qui s'y épanouit alors autour d'artistes comme Pete Seeger, Josh White, Woodye Guthrie. Ils est un des premiers artistes noirs à se produire devant des auditoires blancs et il séduit vite les milieux progressistes de Greenwich village. Devant ce public réceptif, les artistes noirs peuvent composer et jouer des titres engagés, chose impensable dans le sud.


Josh White.


Josh White multiplie les blues engagés. Une série de quatre 78 tours intitulé Chain gang bound dépeint les conditions de vie sordides des noirs dans le Sud. Ses textes, ouvertement antiségrégationnistes visent ouvertement le système sudiste. Les ligues racistes se déchaînent contre ses disques, brisés en public, retirés de la vente dans le Sud par la Columbia. Le Ku Klux Klan organise le procès par contumace de White, dont l'effigie est brûlée. Sa maison new-yorkaise est brûlée, ce qui ne l'empêche pas de poursuivre son oeuvre. En 1941, il enregistre un nouvel album au titre explicite: album of Jim Crow blues (écrit en collaboration avec l'écrivain Richard Wright et le poète Waring Cuney). Eleanor roosevelt, qui souhaite mettre un terme à la ségrégation dans le sud, l'invite à plusieurs reprises à la Maison Blanche. Le président F.D. Roosevelt prononce son éloge public et recommande ses disques.



Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, ses prises de positions radicales provoquent la curiosité de la Commission des Activités Non Américaines dirigée par McCarthy. Devant la Commission, son témoignage puissant ébranle l'auditoire: "Je hais et je combats Jim Crow (le système ségrégationniste raciste du Sud) parce qu'il est une insulte aux créatures de Dieu, une violation des croyances chrétiennes (...). J'aime l'Amérique parce qu'elle est la terre des exilés, des proscrits, l'ennemi des oppresseurs. Je ne crois pas que Jim Crow soit vraiment l'Amérique. Il n'est que temps pour l'Amérique d'éliminer l'esprit de jim Crow sur son territoire".

Sources principales:
- Peter Guralnick:"Sweet soul music_ rythm and blues et rêve sudiste de liberté", éditions Allia,2003.
- Sebastien Danchin:"Encyclopédie du Rythm and blues et de la soul", Fayard, 2002.
- "Freedom. Une histoire photographique de la lutte des noirs américains", Phaidon, 2005.
- Gérard Herzaft:"La grande encyclopédie du blues", Fayard, 1997.

mercredi 16 janvier 2008

Ferdinand Hodler, (Re)découverte

L'exposition au Musée d'Orsay qui est consacrée actuellement à Ferdinand Hodler donne une chance nouvelle au grand public d'apprécier ce peintre talentueux.


Sa grande toile (116x299cm), la nuit (1891) est sans aucun doute la plus célèbre de ses oeuvres. Elle est également celle qui consacre l'artiste et lui assure sa renommée internationale. Hodler se représente nu, allongé, au centre, attaqué par un spectre noir, la mort. Autour, on le retrouve à nouveau endormi auprès de femmes. Les couleurs atones et le rythme des formes donnent une impression minérale assez glaciale. L'ordonnancement de ces formes est marqué par une certaine symétrie mais plus encore un parallèlisme (principe de composition formelle mais également philosophique, la nature aurait un ordre, une harmonie).
Le tableau fait scandale car l'artiste se représente en compagnie de sa femme et de sa maîtresse. Mais il permet au jeune peintre de côtoyer, l'un des chefs de file du symbolisme, Puvis de Chavannes.

Qui est Hodler ?
Né en 1853 à Berne, issu d'une famille modeste, Ferdinand est orphelin à 14 ans. Sa formation est d'abord artisanale. Il arrive en 1871 à Genèves et devient l'élève de Barthélémy Menn, ami de Corot. Ses premières oeuvres sont marquées par l'influence des peintres réalistes (dont Courbet), on retrouve des portraits, des scènes de la vie quotidienne. La critique dénonce en lui (comme pour les autres peintres réalistes), le peintre de la laideur.
Sa peinture va alors évoluer au milieu des années 1880. Il fréquente les premiers cercles symbolistes de Genèves, lit Mallarmé et Verlaine. C'est alors qu'il adopte l'un des thèmes de prédilection des symbolistes, la mort. Son père et ses cinq frères emportés par la tuberculose ont sans doute marqué l'artiste. La mort devient récurrente dans son oeuvre, le vieux charpentier fabriquant un cercueil, des vieux hommes assis, les fatigués, de vieux hommes dans des linceuls résignés à leur condition de simple mortel dans Eurythmie.

Eurythmie (1895)

Hodler devient un peintre reconnu surtout en Europe centrale. Les commandes se multiplient, on lui propose de décorer la façade de l'exposition nationale suisse de 1896, l'université de Iéna ou encore l'Hôtel de ville de Hanovre. En 1904, il est l'invité d'honneur des peintres de la Secession de Vienne (patrie de Klimt autre grand peintre symboliste). Son succès dans des oeuvres monumentales ne l'empêche pas de poursuivre son travail de portraitiste (influencé par l'expressionnisme) et de paysagiste.
Ces derniers représentent le plus souvent sa Suisse natale, les montagnes (dans une symétrie...qui flirte parfois avec l'abstraction). Quant aux arbres et aux paysages, ils sont teintés d'un japonisme encore à la mode à cette époque.




















Cerisier en fleur (1905) Le lac de Thoune aux reflets (1904)

La pointe d'Andey (1909)

Sa palette va s'éclaircir avec le temps, elle prend des couleurs, celle des fauvistes. Son autoportraits aux roses (1914) en est un bel exemple.














Autoportrait aux roses (1914) Portrait de Gertrud Muller (1911)




Avant de mourrir, en 1918, Hodler fait la démonstration que le légendaire neutralisme suisse n'est pas un atavisme national. Puisqu'il signe en 1914, une pétition contre le bombardement de la cathédrale de Reims par les Allemands. Il est du même coup, exclu et boycotté des sociétés artistiques allemandes auxquelles il appartenait, ces tableaux sont décrochés des musées.

Concluons en citant l'artiste
"Si j’avais encore cent ans à vivre, je continuerais à exprimer les accords, les harmonies de l’humanité. "

Jean-Christophe Diedrich

Liens
27 toiles à découvrir dans un petit diaporama sur le site des Echos
et
Musée d'Orsay, une présentation complète de l'exposition