La chanson française de la seconde moitié du XXème siècle s'est intéressée à de nombreuses reprises à la "France des années noires". Revenons ici sur quelques titres connus qui évoquent différents aspects du conflit et donnent aussi à voir les représentations que l'on s'en ait fait longtemps après les faits. Ce troisième volet revient sur les mémoires de la guerre, notamment la remise en cause du résistancialisme gaullien (l'idée selon laquelle les Français auraient massivement résisté à l'occupant) et la lente prise en compte des spécificités de la Shoah:
Georges Brassens.
* Le mythe résistancialiste mis à mal.
- Georges Brassens: "Les deux oncles" (1964).
"On peut vous l'avouer, maintenant, chers tontons
Vous l'ami les Tommies, vous l'ami des Teutons
Que, de vos vérités, vos contrevérités
Tout le monde s'en fiche à l'unanimité
De vos épurations, vos collaborations
Vos abominations et vos désolations
De vos plats de choucroute et vos tasses de thé
Tout le monde s'en fiche à l'unanimité"
Ici, Brassens adopte un discours à l'opposé du résistancialisme gaullien qui glorifie la geste résistante de l'ensemble du peuple français. Brassens propose une vision désabusée des engagements du temps de guerre. Il souligne, non sans raison, "que l'on a requiqué dans le ciel de Verdun les étoiles ternies du Maréchal Pétain". Plus loin, il ajoute:"c'en est fini de vos querelles d'Allemands" ou encore "de vos épurations, vos collaborations [...] tout le monde s'en fiche à l'unanimité".
Il condamne ici toute forme d'engagement et renvoie dos à dos celui qui "aimait les Tommies" et celui "qui aimait les Teutons". Son relativisme poussé à l'extrême choque alors une partie de son auditoire.
- Renaud:"hexagone".
Renaud.
Avec ce titre rageur, Renaud revient sur sa vision, anarchiste, de l'histoire de France. Egrénant les mois d'une année, il dénonce l'apathie des Français, leur bassesse... Quand arrive le mois de juin, il lance:
Ils commémorent au mois de juin / un débarquement d'Normandie,
ils pensent au brave soldat ricain / qu'est v'nu se faire tuer loin d'chez lui,
ils oublient qu'à l'abri des bombes, / les Francais criaient "Vive Pétain",
qu'ils étaient bien planqués à Londres, / qu'y avait pas beaucoup d'Jean Moulin.
Le titre date de 1974 et s'inscrit donc dans la remise en cause de la vulgate résistancialiste qui prend de l'ampleur dans la première moitié des années 1970. Les Français ne furent pas une nation massivement résistante comme le suggérait de Gaulle. Ils furent majoritairement attentistes. Renaud pousse la provocation très loin. A ses yeux, l'exil volontaire du général à Londres s'apparente à une retraite tranquille, le temps que l'orage passe.
* La mémoire de la Shoah.
Un groupe d'enfants juste après la libération d'Auschwitz
- Jean-Jacques Goldman: "Comme toi".
Elle s'appelait Sarah elle n'avait pas huit ans / Sa vie c'était douceur rêves et nuages blancs
Mais d'autres gens en avaient décidé autrement / Elle avait tes yeux clairs et elle avait ton âge
C'était une petite fille sans histoire et très sage / Mais elle n'est pas née comme toi ici et maintenant
Comme toi comme toi comme toi comme toi
Comme toi comme toi comme toi comme toi ...
C'est ici la chanson d'un père à sa fille, d'un Français d'origine polonaise, qui évoque le destin tragique d'une petite fille, morte dans un camp d'extermination. Il conte ce drame à sa fillette, bien vivante elle. Avant 1939, la Pologne comptait une forte minorité juive de plus de trois millions de personnes. En 1945, cette minorité ne compte plus que 300 000 survivants.
Jean-Jacques Goldman, d'origine juive polonaise lui-même, transcrit dans sa chanson tout l'émotion d'une mémoire douloureuse.
- Maurice Fanon:"la petite juive" (1965).
Le régime de Vichy met en place une législation antisémite.
On nous a fait chanter pour un ordre nouveau
D'étranges Marseillaises de petite vertu
Qui usaient de la France comme d'un rince cul
Et s'envoyaient en l'air aux portes des ghettos
Et je me souviens, la petite juive
On lui a dit viens
Elle était jolie
Elle a fait sa valise
Un baiser de la main
Elle s'appelait Lise
Il n'en reste rien
Maurice Fanon dénonce avec force la politique raciale du régime de Vichy. Le gouvernement de Vichy mène une politique de restriction des droits des Juifs dès son installation, sans que les Allemands n'aient exprimé la moindre demande. En octobre 1940, le premier statut des Juifs est promulgué : les citoyens juifs français sont exclus de la fonction publique, de l'armée, de l'enseignement, de la presse, de la radio et du cinéma.
Un deuxième statut des Juifs, encore plus restrictif, est adopté en juillet 1941. A partir de mars 1941, un Commissariat général aux questions juives veille à l'application de la législation antijuive.
A partir de 1942, les Allemands peuvent compter sur le soutien zélé de la police française pour rafler les juifs.
la "petite juive" interprétée par Francesca Solleville.
- André Chedid:"Anne, ma soeur Anne".
Anne Franck.
* André Chedid revient désabusé sur le retour en force des idées racistes. Dans sa chanson "Anne, ma soeur Anne", composée en 1985, il s'adresse à Anne Franck, une jeune juive allemande, réfugiée à Amsterdam pendant la guerre. Elle est l'auteur d'un journal intime particulièrement émouvant dans lequel elle évoque ses difficiles conditions d'existence.
Anne, ma soeur Anne, Tu pensais qu’on n’oublierait jamais mais mauvaise mémoire
Elle ressort de sa tanière la nazi-nostalgie
Croix gammée, botte à clous, toute la panoplie
Elle a pignon sur rue des adeptes, un parti
La voilà revenue, l’historique hystérie
Anne, ma soeur Anne, si j’te disais c’que j’entends
Anne, ma soeur Anne, les mêmes discours
Les mêmes slogans, les mêmes aboiements
Anne, ma soeur Anne ...
* L'heure de la réconciliation: l'axe franco-allemand.
- Barbara:"Göttingen".
Toute réconciliation avec l'ennemi héréditaire allemand semblait très délicate en 1945. Or, très tôt, dans le contexte de la guerre froide et de la consruction européenne, la France et l'Allemagne de l'ouest se rapprochent. L'entente devient franchement cordiale avec la création de la CECA (1951), puis de la CEE. Désormais, l'axe franco-allemand devient le fer de lance de la construction européenne et ne se démentira pas (nombreuses rencontres de Gaulle/Adenauer, Giscard d'Estaing/Schmidt, Mitterrand/Kohl).
François Mitterrand et Helmut Kohl à Verdun, en 1984.
Barbara compose cette superbe chanson en 1965. Ce qui l'anime ici, c'est un "profond désir de réconciliation et non d'oubli". Le message de ce titre est d'autant plus émouvant que Barbara dut se cacher et fuir avec sa mère, parce qu'elles étaient juives.
O faites que jamais ne revienne / Le temps du sang et de la haine
Car il y a des gens que j'aime, / A Göttingen, à Göttingen.
Et lorsque sonnerait l'alarme, / S'il fallait reprendre les armes,
Mon cœur verserait une larme / Pour Göttingen, pour Göttingen.
Mais c'est bien joli tout de même, / A Göttingen, à Göttingen
N'hésitez pas à nous signaler en commentaire des titres en rapport avec la seconde guerre mondiale. Merci d'avance.
Source principale:
- P. et J.P. Saka (dir):"L'histoire de France en chansons", Larousse, 2004.
Liens:
- des ressources utiles pour étudier les Mémoires de la seconde guerre mondiale.
- Mémoires de la Seconde guerre mondiale: la redécouverte du génocide juif.
Bonjour,
RépondreSupprimerJe viens de lire votre article très intéressant sur les chants de la Seconde guerre mondiale.
En voici un autre: Somewhere over the rainbow, interprété par Judy Garland dans le film Le Magicien d'Oz, a été chantée durant la guerre par les soldats américains. Pour eux, elle symbolisait leur espoir de retrouver leur patrie lointaine qui, après toutes ces années de guerre, semblait être un rêve derrière un arc-en-ciel (dans la chanson, une fillette parle de son rêve de s'échapper du désordre sans espoir de ce monde pour aller dans un autre monde idéal d'amour et de joie, par-delà l'arc-en-ciel).
Bonjour,
RépondreSupprimerJe viens de lire l'article très intéressant mais je trouve qu'une chanson majeure manque : Nuit et brouillard de Jean Ferrat. à part ça, c'est un très bonne article.
Attention, vous dites "André Chédid, il.." or, c'est une femme !! "Andrée Chédid, elle...", la grand mère de M, si je me souviens bien ! Sinon, vous auriez pu évoquer "Si j'étais né en 17" de JJ Goldman, émouvant aussi parce qu'il est juif de mère allemande, de la même manière que Fredericks, la chanteuse noire, envers l'apartheid "si j'étais née blanche", et Jones envers la guerre de religion irlandaise "si j'étais né sur les trottoirs de Belfast" se demandent s'ils auraient agi différemment dans l'autre camp.
RépondreSupprimerC'est Louis Chedid qui chante "Anne ma soeur Anne
RépondreSupprimerUne tres belle Chanson de Hugues Aufray domage de l'oublier
RépondreSupprimer"PETIT SIMON" Les etoiles ne portent pas toujours chance, surtout celle qu'on accroche sur le coeur"