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Du nouveau pour 2009 : Lire-écouter-voir devient Samarra !

Après un an de bons et loyaux services, Lire-écouter-voir fait peau neuve. Nous allons désormais continuer ce qui a été entrepris sur un blog partenaire du site Mondomix consacré à toutes les musiques du monde.

Ce nouveau blog s'appelle Samarra et a démarré depuis quelques jours. Nous allons continuer à y publier des articles sur les sujets et les supports (BD, manga, musique, films, livres, peinture,...) qui ont fait le quotidien de Lire-écouter-voir en 2008.

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jeudi 19 juin 2008

Wattstax sur Arte.

A ne surtout pas rater sur Arte vendredi à 3h du matin (!), le documentaire de Mel Stuart consacré au festival Wattstax.


“I am… somebody!” Poing levé, une foule euphorique de plus de cent mille personnes, presque exclusivement noire, reprend en choeur le discours du jeune révérend Jesse Jackson, dressé sur la scène, et fait vibrer l’immense stade du Coliseum, à Los Angeles. Comme pour proclamer une fois encore “Black is beautiful”, le slogan phare de la décennie écoulée, la caméra caresse les visages radieux, détaillant afros géants et couleurs électriques, fashion victims des deux sexes en shorts à paillettes et costumes moulants, tresses enrubannées des petites filles, chapeaux extravagants des dames.
© Everett Collection
Nous sommes le 20 août 1972 : sous l’égide du label Stax, roi de la deep soul, et de sa plus grande star Isaac Hayes, s’ouvre un concert d’anthologie, à la fois acte militant et gigantesque fête populaire, qui restera dans les annales comme le Woodstock de la communauté afro-américaine : six heures de musique, de danse et d’euphorie collective, destinées à commémorer les sanglantes émeutes de Watts, qui ont eu lieu sept ans plus tôt, et à célébrer, avec le Black Power, l’esprit de résistance et la vitalité de la culture noire. Outre l’étoile incontestée Isaac Hayes, toutes les stars du label, comme Rufus Thomas, les Staple Singers, Albert Kint, the Barkays, Little Milton, ont accepté de chanter gratuitement.

Extatique
Chargé d’immortaliser l’événement, le réalisateur (blanc) Mel Stuart a choisi de mêler aux séquences extatiques du concert un aperçu de la réalité de Watts, en promenant caméra et micros dans le quartier ; avec, en guise de choeur antique, les commentaires acerbes du comédien Richard Pryor. Trente-cinq après, son film, bercé par les tubes enivrants qui se sont succédé sur la pelouse du Coliseum, fait revivre ce moment de l’histoire américaine où la lutte pour les droits civiques avait mené les Noirs à la reconquête d’une fierté communautaire, avant que bien des rêves ne s’enlisent. Du cinéaste Melvin Van Peebles aux extraordinaires prestations de Rufus Thomas et Isaac Hayes, du discours inaugural de Jesse Jackson (un proche de Martin Luther King, assassiné trois ans plus tôt) aux récits des habitants de Watts, il ressuscite aussi, pour notre plus grand plaisir, une culture populaire incarnée de manière incroyablement tonique par la musique, le langage, le look et l’humour.



L'article qui précède est une reprise de la présentation du documentaire, trouvée sur le site d'Arte.



Petit retour sur le label STAX de Memphis, responsable d'une des musiques les plus excitantes qui soit.

En 1957, Jim Stewart, jeune employé de banque effacé et sa sœur Estelle Axton s’associent pour fonder un petit label nommé Satellite. Stewart cherche avant tout à travailler dans la musique, mais rien ne le prédispose à s’intéresser aux musiques noires. Ils s’installent bientôt au sud de Memphis, dans un ancien cinéma qu’ils reconvertissent en studio d’enregistrement. Les habitants du quartier, curieux viennent rapidement proposer leurs services à l’instar de Rufus Thomas, vétéran du rythm’n’blues, ancien de Sun, touche à tout truculent et ardent partisan de la lutte pour les droits civiques. Aidé de sa fille Carla, il offre ses premier succès au label qui s’appelle bientôt STAX (les deux premières lettres des noms des fondateurs).


Estelle Axton et Jim Stewart, fondateurs de Stax.

Memphis est alors une ville profondément ségrégée. Le maire Crump monopolise le pouvoir municipal pendant près de quarante ans et maintient une ségrégation implacable sur la ville. Jusqu’en 1971, la municipalité préfère fermer les piscines en pleine canicule estivale, plutôt que de laisser Noirs et Blancs ensemble.

Or, au sein d’un Memphis cloisonné, un petit miracle ce produit, Stax constitue un havre de paix où la couleur de peau ne compte pas. Booker T. and the MG’s, la section rythmique maison qui joue sur la plupart des grands succès du label jusqu’en 1969 et qui lui donne son identité musicale se compose de deux Noirs (l’organiste Booket. T. Jones, le batteur Al Jackson) et deux Blancs (le guitariste Steve Cropper et le bassiste Donald Duck Dunn). Les musiciens vivent ensemble, travaillent ensemble, sans anicroches.

Les talents affluent rapidement à McLemore Avenue, notamment les jeunes noirs du quartier qui viennent tenter leur chance. Rapidement donc, Stax devient un label qui se spécialise dans une soul profondément marquée par les héritages du blues et du gospel. Une alchimie parfaite se créée entre la colossale section rythmique (surtout la batterie métronomique d’Al Jackson et les finesses de Cropper) et les cuivres incendiaires du Memphis Horn.


Booker T. and the MG's.

Le catalogue du Label devient impressionnant, puisque STAX compte dans ses rangs William Bell, le fantasque Rufus Thomas et sa fille Carla, Sam and Dave, un duo infernal qui met le feu aux planches en concert, le trop méconnu Eddie Floyd, pourtant interprète du hit « knock on wood », Johnnie Taylor, le bluesman Albert King…

Surtout, STAX s’est trouvé un héros en la personne d’Otis Redding qui enchaîne les succès (« respect », « i’ve been loving you too long »), taillés sur mesure par deux compositeurs inspirés, David Porter et Isaac Hayes. Enfin, l’arrivée d’un deejay de Washington, Al Bell, commercial surdoué permet de faire de STAX une véritable usine à tube, qui fait de Memphis « Soulville USA », capable de rivaliser avecla Tamla Motown de Detroit, antre d’une soul plus sophistiquée.


Otis Redding.

Plus rien ne semble pouvoir arrêter l’ascension fulgurante du label, qui parvient à conquérir les faveurs des auditeurs blancs. Otis Redding emporte d’ailleurs l’adhésion des foules du festival de Monterey, où il se produit en juillet 1967, devant un parterre pourtant peu familier de cette soul sudiste. Mais, la disparition de Redding et de son groupe les Bar-Kays dans un accident d’avion en décembre 1967, ouvre une année noire pour le label. Le lâchage d’Atlantic, qui commercialisait les disques du label et détenait tous les droits des enregistrements de STAX, laisse celui-ci sur la paille.

Le contexte sociale pèse aussi de plus en plus sur la vie du label, dont les membres avaient l’habitude de se reposer dans le Lorraine Motel voisin. Martin Luther King, venu soutenir les éboueurs de la ville engagés dans une très longue grève, est assassiné dans ce même Lorraine Motel, le 4 avril 1968. Les émeutes qui suivent mettent le feu à la ville (à tous les sens du terme).
La Garde nationale et les tanks sillonnent Memphis.

Manifestations dans Memphis après l'assassinat de Martin Luther King.

Pour Al Bell, « l’impact de cet assassinat a été immense. Nous étions au cœur d’une communauté noire, une entreprise intégrée au sein d’une ville où les problèmes raciaux étaient à leur paroxysme ». L’assassinat jette des éléments de suspicion au sein du label et terni les relations entre Blancs et Noirs. Quelque chose se brise avec l’assassinat du Dr King.


Le doctor King vient d'être tué sur le balcon du Lorraine Motel.


Jim Stewart s’efface progressivement au profit d’Al Bell qui entend rapprocher le label des combats des Afro-américains. Il remplace l’ancien logo par celui du « doigt qui claque », référence évidente au poing levé du Black Power. Il fait signer les Staple Singers, un groupe familial de gospel très engagé dans la lutte des Noirs et intimes de Martin Luther King. Il met en avant le chanteur compositeur Isaac Hayes, qui devient une véritable icône de la communauté afro-américaine, auteur de la bande origine du film blaxploitation Shaft (pour laquelle il reçoit un oscar) et « Black Moses » (le Moïse noir) pour les besoins d’un album.



Isaac Hayes, le black Moses.

Avec Bell, STAX s’oriente dans de nouvelles directions (le cinéma, le sport), mais perd au passage une partie de son âme et ce développement tous azimut commence à peser dangereusement sur les finances du label. Les anciens quittent le navire : la co-fondatrice Estelle Axton, Booker T. and the MG’s explose, miné par des querelles intestines… Les ventes ne faiblissent pas pour autant et les nouvelles recrues tirent leur épingle du jeu : les Soul Children et leur soul sirupeuse, Luther Ingram, The Dramatics, The Emotions.


Al Bell et Jesse Jackson lors du concert Wattstax.


Rufus Thomas

Al Bell réussit enfin un gros coup en organisant dans un stade de Los Angeles, le festival Wattstax en 1972, véritable « Woodstock noir ». Sept ans plus tôt, le 11 août 1965, le quartier noir de Watts, au centre sud de L.A. s’était embrasé après un contrôle policier abusif. Après l’intervention de 15 000 hommes de la garde nationale, on compte 34 morts, plus de 1000 blessés et 4 000 arrestations.


Afin de commémorer ces événements douloureux et pour redonner de la fierté à une communauté noire éprouvée, Bell parvient à attirer 100 000 spectateurs au Los Angeles Coliseum (prix d’entrée 1 dollar).





Quelques moments forts émaillent ce festival, notamment le prêche ( « I am somebody » : « je suis quelqu’un » ) du révérend Jesse Jackson, fidèle de Luther King et futur candidat aux présidentielles américaines pour le parti démocrate ou encore la prestation irrésistible du « plus vielle adolescent du monde », le vétéran Rufus Thomas, tout de rose vêtu.


STAX fête ses cinquantes ans d'existence.


. La petite entreprise familiale des débuts cède la place à une grosse entreprise, difficile à gérer et de plus en plus mal fréquentée. Des caïds fréquentent bientôt le label et y dictent la loi. La mauvaise gestion et le lâchage du label par ses créanciers entraînent la fermeture en 1975. Le studio d’enregistrement, désaffecté, sera détruit quelques années plus tard. Mais en 2003, la municipalité de Memphis, flairant le bon coup, reconstruit à l’identique le studio transformé en musée de la soul.

Lien:

- Freedom sur Arte.

- Stax et le triomphe du Memphis sound.

Sources:

- "Sweet soul music" de Peter Guralnick.

- Le livret du DVD:"Stax, respect yourself_ Stax records story", sorti à l'occasion du cinquentnaire du label. - "Memphis, aux racines du rock et de la soul" de Florent Mazzoleni, au Castor Astral.

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