La musique soul puise ses racines dans le gospel, auquel fut incorporé la fougue du rythm’n’blues. Cette musique puissamment émotionnelle se développe dans la foulée du succès de Ray Charles en 1954, pour atteindre son plein épanouissement au cours des 1960’s. Dans un premier temps son public se compose principalement de Noirs élevés dans l’ambiance désinhibante de L’Eglise, et de quelques jeunes admirateurs blancs séduits par ces chants qu’ils entendent à la radio.
A l’origine, comme pour le rock’n’roll, la soul exprime une rébellion. Pete Guralnick écrit dans son ouvrage de référence Sweet soul music : « lorsque Ray Charles se mit à transformer les plus célèbres chants sacrés en sanglots d’extase séculière, il se heurta à de nombreuses critiques, principalement de la part des membres du clergé. »
La "Soul" est d'abord littéralement l'"âme" noire perceptible dans toutes les voix des musiques noires religieuses (Gospel, Negro-Spirituals) ou profanes (Blues, Jazz, Rythm'N'Blues). La chanteuse Sarah Vaughan disait: "Il faut mettre de la "Soul" dans son chant". Le terme indique ainsi la symbiose entre l'âme et la voix de l'interprète.
Sébastien Danchin revient sur les origines du mouvement et du terme dans son « Encyclopédie du Rythm’n’blues et de la soul » : « historiquement, le terme soul reflète l'opiniâtreté d'une communauté qui a réussi à préserver son âme africaine au long de plusieurs siècles de servitude. Le mot est apparu dans un contexte musical avec des créateurs du jazz comme Horace Silver, Cannonball Adderley ou Milt Jackson qui entendent manifester par ce vocable aux fortes connotations mystiques un respect profond, presque religieux, pour les racines de leur art. Le mot soul entre rapidement dans le vocabulaire du ghetto pour désigner l'essence même de cette négritude chère à Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor. »
A partir des années 1960, les songwriters noirs incorporent souvent un contenu social dans leur répertoire, loin des balades sirupeuses dans lesquels on cantonne trop souvent le genre. Peter Guralnick affirme : « lorsqu ‘elle quitta la clandestinité, la soul accompagna quasiment chaque étape du développement du Mouvement des Droits Civiques : son succès reflétait directement les gigantesques avancées de l’intégration, sa popularité était le miroir presque fidèle des bouleversements sociaux qui avaient lieu. »
* Ray Charles marie de manière explosive et scandaleuse le rythm’n’blues profane et le gospel sacré, avec I got a woman, sexy et torride (1954).
Au sein de la communauté afro-américaine, ses détracteurs lui reprochent d’avoir mêlé de manière sacrilège religion et amour charnel. A la suite du Genius, d’autres interprètes empruntent la même voie, à l’instar de Sam Cooke, consacrant ainsi la naissance de la Soul.
Il n’hésitera pas dans les années 60 aux Etats-Unis à participer de manière active aux mouvements pour les droits civiques visant à l’égalité raciale, en devenant l’un des piliers financiers de la NAACP. Il quitte un concert à Atlanta lorsqu’il constate que les spectateurs sont placés en fonction de la couleur de la peau. Il rencontre Martin Luther King en 1963 et dira de lui dans ses Mémoires : " Le bon docteur King, ils ont réussi à le descendre, mais ils ne pourront pas nous faire oublier son enseignement. "
* Sam Cooke, autre précurseur de la soul en gestation et ancien membre du célèbre groupe de gospel des Soul stirers, admire les talents de songwriter de Dylan, tout particulièrement Blowin’ in the wind. A son tour, il compose en 1964 ce qu’il souhaite voir devenir un hymne plein d‘espoir, A change is gonna come (« un changement va survenir ») titre poignant qui évoque les changements positifs qui interviennent enfin pour les Afro-américains.
Pochette d'un album du groupe de Curtis Mayfield: The Impressions.
* D’autres standards soul accompagnent le mouvement des droits civiques tout au long des sixties. Ainsi, les Impressions, menés par Curtis Mayfield, sont animés d’une conscience sociopolitique fièrement revendiquée dans des chansons aux titres évocateurs : I’m so proud, People get ready , Keep on pushing, We’re a winner (« nous sommes là pour gagner »), Choice of colors … puis We the people who are darker than blue par Mayfield en solo. Ce dernier prêche la tolérance comme seul moyen pour parvenir à l’idéal de fraternité de MLK. Au-delà du message, Mayfield compose des titres d’une redoutable efficacité, chantés de sa voix de falsetto.Un de ses titres les plus engagés reste le sublime (Don’t worry) if there’s hell below, we’re all gonna go [«(T’inquiètes), si l’enfer existe, nous irons tous »], vision apocalyptique d’une Amérique en flamme, dans laquelle personne n’est ménagé. Le morceau s’ouvre ainsi :
Sisters ! Niggers ! Whiteys ! Jews ! Crackers !
* Le soul brother number one James Brown exprime son refus du racisme en revendiquant brutalement sa négritude avec le percutant Say it loud I’m black and I’m proud (1968) (« je suis noir et j’en suis fier »), qui devient dès sa sortie un hymne fédérateur pour les Black Panthers.
« Nous préférons mourir debout / que vivre à genoux / Dis le fort : je sui noir et j’en suis fier ».
Obligé d’arrêter l’école précocement, James Brown tente tout au long de sa carrière de convaincre la jeunesse des ghettos de miser sur l’éducation. Il chante ainsi Don’t be a drop-out (« ne soyez pas un élève en rupture ») en 1966, et adopte le point de vue d’un jeune qui a laissé tomber l’école :
« Il se présente à un travail /
Et Mr Man dit : /
Sans éducation /
C’est comme si vous étiez mort ».
Quelques années plus tard, il clame avec fierté I don’t want anybody to give me nothing (open the door, I’ll getit myself), « J’veux pas que quelqu’un me donne quoi que ce soit (ouvrez la porte je l’obtiendrai moi-même ».
Au lendemain de l’assassinat du Dr King, les autorités sollicitent le chanteur. Le concert qu’il donne le lendemain de l’assassinat est diffusé à la télévision, les autorités espérant ainsi retenir chez eux les émeutiers potentiels. Il multiplie alors les appels au calme à la radio. Invité par Johnson à la Maison Blanche, le Washington Post relaie ses discours et en fait l’éloge.
Par la suite, Brown sympathise avec le démocrate Hubert Humphrey qu’il soutient lors des primaires en 1968. Opportuniste avant tout, il accepte les invitations du nouveau président, Nixon. Pas à une contradiction près, après avoir dénoncé le racisme ambiant, il vante les mérites des Etats-Unis dans son Living in America, toujours en 1968.
Le président Nixon et le Godfather of soul.
* En 1966, le héraut du son Stax, Otis Redding compose son tube
Respect. Chanson machiste, dans laquelle l’interprète réclame le respect, en l’occurrence plutôt une soumission, à sa femme, lorsqu’il rentre chez lui. Ce titre prend une nouvelle dimension et surtout une tout autre signification avec la reprise d’Aretha Franklin, en 1967. Fille du célèbre pasteur C.L. Franklin, ami de MLK, la queen of soul modifie les paroles de la chanson. Pour Sébastien Danchin, « lorsque la fille du révérend Franklin demande davantage de considération, tout le monde comprend qu’elle réclame l’égalité des droits non seulement pour les Afro-américains, mais aussi et, peut-être, surtout pour la femme en cette période de montée du féminisme. »
* Lassé de son image de crooner inoffensif, Marvin Gaye compose son album phare et chef d’œuvre What’s goin’ on, en 1971. Il y dépeint une Amérique malade : de la violence omniprésente, de la pauvreté qui frappe tout particulièrement les quartiers noirs difficiles [Inner city blues (make me wanna holler)], le danger du nucléaire [ Mercy, mercy (the ecology)]. Marqué par l’expérience de son frère de retour du Vietnam, il revient sur cette guerre injuste, particulièrement éprouvante pour les Afro-américains dans la chanson What’s goin’ on :
Brother, brother there’s too many of you dyin’/ Mother ther’s too many of you cryin’
“Frère, frère, trop de vous meurent / Mère, mère trop de vous pleurent. »
Alors que les bombardements s’intensifient afin de peser sur les négociations récemment engagées, Marvin Gaye lance : There’s no need to escalate (« Pas besoin d’escalade »).
* La où le blues incitait plutôt à courber l’échine en dépeignant les difficultés du quotidien, la pauvreté des Noirs du sud des EU, en utilisant la métaphore ou l’ironie, la soul adopte très tôt un ton revendicatif symptomatique des changements alors en cours. Elle revendique haut et fort la célèbre d’être noire (black pride): Nickie Lee proclame And black is beautiful . A rapprocher d’un classique de l’Amérique noire, to be young gifted and black (« être jeune, doué et noir »), dont la version la plus connue reste celle de Nina Simone, en 1969.
« Etre jeune, doué, noir / oh quel rêve magnifique, précieux… »
Sly and the family Stone.
Dans une veine plus funky, Sly and the family Stone multiplient les hymnes à la fierté noire ( sur l’album Stand). Ce groupe iconoclaste originaire d’Oakland milite pour les droits civiques (Everyday people) et pour l’entente entre Blancs et Noirs, à travers la chanson Don’t call me nigger, whitey (« ne me traite plus de nègre blanc-bec »).
Sources principales:
- Peter Guralnick:"Sweet soul music_ rythm and blues et rêve sudiste de liberté", éditions Allia,2003.
- Sebastien Danchin:"Encyclopédie du Rythm and blues et de la soul", Fayard, 2002.
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